- OLYMPISME
- OLYMPISMEEn 1992, se sont déroulés les vingt-deuxièmes jeux Olympiques d’été, les Jeux de la XXVe olympiade de l’ère moderne. En 1916, en effet, non plus qu’en 1940 et 1944, les Jeux ne furent célébrés; le décompte des périodes quadriennales n’en pouvait être arrêté pour autant.En 1980, avec les graves péripéties nées de la position prise par le président des États-Unis, Jimmy Carter, à la suite de l’intervention des forces armées soviétiques en Afghanistan, n’est-ce pas le principe même des Jeux qui s’est trouvé profondément ébranlé, l’avenir hypothéqué de manière inexorable, comme le montra, quatre ans plus tard, la riposte de l’U.R.S.S. et le boycott par la majorité des pays de l’Est des Jeux de Los Angeles?L’olympisme, au reste, a-t-il une existence véritable, une signification propre ou ne s’agit-il là que d’une idée creuse, dénuée de toute valeur? Quelle en serait d’ailleurs l’exacte signification?Si l’on se réfère à la Charte olympique , brochure officielle de 167 pages publiée sous l’égide et par les soins du Comité international olympique, on la puisera dans le texte in extenso des articles 1 et 3, inclus parmi les «Règles», au nombre des «Principes fondamentaux».ARTICLE PREMIER – «Le mouvement olympique a pour but de:– promouvoir le développement des qualités physiques et morales qui sont les bases du sport ;– éduquer par le sport la jeunesse, dans un esprit de meilleure compréhension mutuelle et d’amitié, contribuant ainsi à construire un monde meilleur et plus pacifique;– faire connaître universellement les principes olympiques, suscitant ainsi la bonne volonté internationale ;– convier les athlètes du monde au grand festival quadriennal du sport que sont les Jeux Olympiques.»ART. 3 – «Les Jeux Olympiques ont lieu tous les quatre ans. Ils réunissent en un concours sincère et impartial des athlètes olympiques de tous les pays.Le Comité international olympique (C.I.O.) donnera aux Jeux Olympiques la plus large audience possible.Aucune discrimination n’y est admise à l’égard d’un pays ou d’une personne pour des raisons raciales, religieuses ou politiques.»Ces phrases ont-elles toute la force que l’on souhaiterait pouvoir leur trouver? Correspondent-elles bien à la volonté de celui qui réussit, au seuil du XXe siècle, à ce que ressurgissent de l’oubli les principes d’Olympie?Cet inconnu célèbre: Pierre de CoubertinTous les quatre ans, le nom de Pierre de Coubertin revient sous le feu des projecteurs. On se réfère à son exemple, on cite, en la lui attribuant imperturbablement, la phrase qui n’est pas sienne, «l’important, c’est de participer» (citation qui, en outre, déforme la phrase exacte: «L’important, c’est moins de gagner que de prendre part», prononcée par l’évêque de Pennsylvanie lors de son sermon aux athlètes des Jeux Olympiques de Londres en 1908, puis commentée et paraphrasée par Coubertin à l’occasion du dîner offert par le gouvernement britannique le 24 juillet 1908); mieux encore, on se prévaut de son opinion sans avoir lu ses écrits ou bien en extrayant de son contexte tel membre de phrase tronqué, ce qui rend aisées toutes les déformations abusives.Dans le meilleur des cas, il apparaît tout au plus comme le rénovateur des Jeux Olympiques, ce qui occulte la profondeur et la variété d’une pensée multiforme. L’homme et son œuvre restent en fait des inconnus.Issu d’une famille du «faubourg Saint-Germain», il est né le 1er janvier 1863 dans l’hôtel particulier du 20 de la rue Oudinot, dont il ne devait se défaire qu’après la guerre de 1914, pour des raisons essentiellement financières. Pierre de Coubertin était l’un des quatre enfants de Charles Fredy, baron de Coubertin (1822-1908), peintre de quelque talent, et de Marie-Marcelle Gigault de Crisenoy (voir la généalogie établie par son petit-neveu Geoffroy de Navacelle), tous deux monarchistes et partisans du comte de Chambord. Très vite, Coubertin allait faire la preuve de l’originalité de sa pensée; il allait s’éloigner du chemin tout tracé, des rivages trop connus, pour se livrer à cette «aviation intellectuelle» que plus tard il tenterait d’introduire dans l’éducation (cf. l’importante étude d’Y.-P. Boulongne, éd. Léméac, Ottawa, 1975).L’éducation, la pédagogie: tel fut le champ d’action qu’il se choisit dès 1883, s’il faut en croire Une campagne de vingt et un ans (1887-1908) , publiée en 1909, où il indique sans ambages l’importance de son premier voyage en Angleterre. Visitant les public schools , il se rend compte d’une chose «imprévue et cachée», à savoir qu’«il existait tout un plan de formation morale et sociale dissimulé sous le couvert des sports scolaires». La stature de Thomas Arnold, mort en 1842 après avoir mené durant quatorze années les destinées de Rugby, l’impressionne, ainsi que les résultats obtenus par le grand éducateur. Il regrette que ce dernier n’ait laissé ni texte, ni lettre, ni sermon, mais il considère que tout son système reposait sur l’idée que c’est à l’adolescent de construire sa personnalité d’adulte avec les matériaux dont il dispose, notamment la maîtrise et la pratique du sport. C’est cela qu’il faut transposer en France, pour que toute une génération prenne conscience d’elle-même, de ses forces et de ses responsabilités. Alors la défaite de 1870-1871 pourra peut-être s’effacer.Désormais, le jeune Coubertin est en route. Le 1er novembre 1886, dans La Réforme sociale, revue chère à l’école de l’économiste Frédéric Le Play, paraît son premier article. Premier d’une production foisonnante au long d’un demi-siècle: plus de vingt-cinq livres d’importance à partir de L’Éducation en Angleterre (Librairie Hachette et Cie, 1888), des dizaines et des dizaines d’articles parus dans des publications françaises, belges, suisses, anglo-saxonnes, de nombreuses conférences, sans oublier une correspondance considérable.Cette inlassable activité d’écrivain, un écrivain diffusé bien souvent à compte d’auteur, n’allait nullement l’empêcher de faire preuve, sur le terrain, d’une capacité étonnante et têtue à réaliser des vues d’abord tenues pour chimériques par ses contemporains. En 1888, il rejoint le mouvement athlétique et ses pionniers, qui ont nom Georges de Saint-Clair (Racing-Club de France), Jules Marcadet (Stade français), ceux-là mêmes qui ont conçu, en janvier 1887, le projet de cette Union des sociétés françaises de course à pied (alors réduite à leurs deux clubs) qui se transformera, deux ans plus tard, en l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (U.S.F.S.A.), contenant en germe le développement de toutes les structures à venir du sport français. Coubertin vient de lancer le Comité pour la propagation des exercices physiques, à la tête duquel il a placé une célébrité, l’ancien ministre de l’Instruction publique, Jules Simon, tandis qu’il assure le secrétariat général. En 1889, il assumera également celui du Congrès international, organisé lors de l’Exposition universelle.Bientôt l’Union et le Comité, loin de se combattre, unissent leurs efforts, en face notamment de la Ligue de l’éducation physique, animée par Paschal Grousset, ancien communard, journaliste et homme de gauche, qui entend se dresser contre l’anglomanie des aristocrates. Mais les roulements de tambour de la Ligue seront éphémères, tandis que l’Union prend peu à peu son essor, renforçant ses effectifs. C’est au cours des cérémonies marquant le jubilé du cinquième anniversaire de l’Union que, le vendredi 25 novembre 1892, Coubertin va terminer l’une des trois conférences de la soirée en proposant «le rétablissement des Jeux Olympiques». Cette idée, il n’est pas le premier à l’avoir évoquée, mais il s’y accroche. Lorsque le Congrès international athlétique débute, le 16 juin 1894, il n’y a plus d’équivoque: le titre officiel est devenu celui de Congrès pour le rétablissement des Jeux Olympiques.Dès la circulaire lancée vers les sociétés françaises et étrangères, le 15 janvier 1894, Coubertin énonce certains principes: «Il importe avant tout de conserver à l’athlétisme le caractère noble et chevaleresque qui l’a distingué dans le passé, afin qu’il puisse continuer de jouer efficacement dans l’éducation des peuples modernes le rôle admirable que lui attribuèrent les maîtres grecs [...]. Le rétablissement des Jeux Olympiques sur des bases et dans des conditions conformes aux nécessités de la vie moderne mettrait en présence, tous les quatre ans, les représentants des nations du monde, et il est permis de croire que ces luttes pacifiques et courtoises constituent le meilleur des internationalismes.»Le succès du Congrès se dessina dans les dernières semaines. Coubertin fut même dépassé: pour la première célébration des Jeux, il songeait à Paris, en 1900. Les soixante-dix-neuf délégués, représentant douze pays, choisirent Athènes, dès 1896. Lors de la clôture, le 23 juin 1894, ces décisions étaient entérinées. Déjà le télégraphe crépitait. Coubertin, se levant à la table du banquet final, pouvait se réjouir du couronnement des «dix premières années de [sa] vie d’homme».Le 6 avril 1896, le roi Georges de Grèce scellait la renaissance des Jeux en prononçant dans le stade de marbre du Pentélique la formule appelée à devenir rituelle: «Je proclame l’ouverture des Jeux de la première olympiade de l’ère moderne.»Devant le succès, les Grecs avaient songé à reprendre l’initiative à leur compte. Coubertin, durant ces premiers Jeux, s’était vu assez cavalièrement traité, car le projet d’un retour à Athènes, tous les quatre ans, séduisait les Hellènes. Sitôt cette période achevée, il reprit la situation en main. En 1897, le congrès du Havre, tout près du château familial de Mirville, eut pour objet essentiel de redonner au Comité international olympique le sentiment de sa continuité, et ce fut une réussite. Un cap difficile était franchi.L’olympisme allait traverser bien d’autres périls. Mais, peu à peu, il gagnait du terrain. Il y eut de nouveaux congrès, à intervalles irréguliers: Bruxelles (1905), Lausanne (1913), Paris encore, pour le XXe anniversaire du rétablissement des Jeux, Prague enfin, en 1925. Entre-temps, le siège du Comité international olympique avait été officiellement installé à Lausanne (10 avr. 1915), cependant que Coubertin – «un capitaine ne quitte pas le pont du navire pendant la tempête» – acceptait de voir renouvelés ses pouvoirs, lorsque en 1917 son second mandat décennal de président vint à expiration. Mais à Prague, il jugeait venu le moment de dire au revoir à l’olympisme actif: «... Je veux pouvoir consacrer le temps qui me reste à hâter, dans la mesure où je le pourrai, une urgente entreprise: l’avènement d’une pédagogie productrice de clarté mentale et de calme critique.»Ainsi la boucle était-elle bouclée. Lorsque Coubertin avait décidé de rétablir les Jeux Olympiques, il voulait internationaliser le sport, l’imposer à l’intérieur des frontières, afin de le faire accepter au sein des établissements scolaires comme élément fondamental d’une réforme pédagogique profonde. Les Jeux n’étaient nullement un but pour lui, ils n’étaient qu’un moyen, un outil qu’il imaginait efficace.Pour autant, la pensée de Coubertin ne pouvait s’éloigner totalement de l’olympisme. En octobre 1918, dans La Gazette de Lausanne , il avait encore une fois précisé ses conceptions: «L’olympisme [...] préconise une éducation sportive généralisée, accessible à tous, ourlée de vaillance virile et d’esprit chevaleresque, mêlée aux manifestations esthétiques et littéraires, servant de moteur à la vie nationale et de foyer à la vie civique. Voilà un programme idéal.» Divers messages, adressés aux athlètes notamment, montrèrent au fil des années qu’il demeurait très proche de sa plus belle réussite. En 1931 paraissait le document essentiel, ses Mémoires olympiques , livre charmant et plein de finesse, montrant bien quelle diplomatie, quelle ténacité il avait fallu pour éviter les multiples embûches, et qui s’achevait sur la «Charte de la réforme sportive», avec le rappel du principe de la pyramide situant le record «au sommet de l’édifice sportif» et la devise: «Citius, Altius, Fortius » (plus vite, plus haut, plus fort) sortie à la fin du XIXe siècle du cerveau du père Didon. En 1935, le Message radiodiffusé, dont Radio-Lausanne a précieusement conservé l’enregistrement, prend figure de testament spirituel, puisque Coubertin y expose sa «pensée initiale» et «les bases philosophiques sur lesquelles il a cherché à faire reposer son œuvre». Selon ces principes, l’olympisme est avant tout une religion . «J’estime donc avoir eu raison de restaurer dès le principe autour de l’olympisme rénové un sentiment religieux, transformé et agrandi par l’internationalisme et la démocratie.» Seconde caractéristique de l’olympisme, «le fait d’être une aristocratie, une élite; mais, bien entendu, une aristocratie d’origine totalement égalitaire [...]. Être une élite ne suffit pas, il faut encore que cette élite soit une chevalerie [...]. L’idée de trêve, voilà également un élément essentiel, elle est étroitement associée à l’idée de rythme. Les Jeux Olympiques doivent être célébrés sur un rythme d’une rigueur astronomique parce qu’ils constituent la fête quadriennale du printemps humain, honorant l’avènement successif des générations humaines [...], printemps humain [qui] s’exprime dans le jeune adulte [...]. Enfin un dernier élément, la beauté par la participation aux Jeux des arts et de la pensée [...]. Célébrer les Jeux Olympiques, c’est se réclamer de l’histoire.»D’Athènes à Moscou, le steeple-chase des Jeux OlympiquesÀ Athènes, en 1896, 81 athlètes venus de douze pays affrontèrent 230 Grecs dans 9 sports et 43 épreuves. Quelque soixante-dix ans plus tard, en 1968, à Mexico, ils furent 4 515, dont 739 femmes, à rencontrer 193 Mexicains et 42 Mexicaines. En 1972, à Munich, pour assister aux 198 épreuves proposées dans 21 sports, les représentants de la presse écrite et audio-visuelle, techniciens compris, dépassaient le nombre des concurrents de Mexico! En 1980, à Moscou, malgré les nombreuses défections découlant directement du boycott, se présentèrent 5 748 athlètes sélectionnés par 80 Comités nationaux, dont 1 221 femmes. C’est dire combien se sont modifiées les dimensions d’un événement que contemplent aujourd’hui à la télévision, simultanément, plus d’un milliard d’êtres humains.De 1900 à 1908, pourtant, les Jeux – qui constituent la manifestation majeure de l’olympisme – semblèrent avoir une santé chancelante. En 1900, à Paris, loin de répondre aux espoirs primitifs de leur fondateur, les Jeux faillirent disparaître, perdus dans l’Exposition universelle: il y eut, disséminés dans l’espace et le temps, d’innombrables compétitions entre le 20 mai et le 28 octobre, salmigondis d’épreuves pour amateurs et de concours professionnels avec des prix en espèces. En 1904, ce fut Saint Louis, et de nouveau une World’s fair : si l’on sait que sur 617 concurrents, 525 étaient des Américains et 41 des Canadiens, on mesure le peu d’empressement des Européens à participer. En 1906 (deux ans plus tard seulement), se déroulèrent à Athènes des Jeux du dixième anniversaire; s’ils ne comptent plus dans la chronologie officielle, ils furent tenus à l’époque pour Jeux Olympiques. Les Jeux se tinrent ensuite en liaison avec – une fois encore – une exposition commerciale. Il s’agissait de l’exposition franco-britannique de Londres. Le nombre de 2 000 participants était atteint: le défilé par nations marqua l’ouverture solennelle, entérinant ainsi la mise en scène conçue par les Grecs deux ans plus tôt. Mais c’est à Stockholm, en 1912, que les Jeux modernes prirent définitivement leur essor: plus de 2 500 participants, 28 contrées, un stade bâti tout exprès; un 5 000 mètres qui compte parmi les plus belles courses de tous les temps, le Finlandais Hannes Kolehmainen ne se défaisant du Français Jean Bouin que dans l’ultime ligne droite, au prix d’un record du monde pulvérisé de près de 30 secondes; un athlète complet hors du commun, Jim Thorpe (États-Unis), qui sera rétroactivement disqualifié pour avoir touché quelques dollars en 1909, alors qu’il jouait au base-ball pour payer ses études; des concours d’art et de littérature, concrétisant enfin l’une des idées les plus chères à Coubertin...Déjà les Jeux de Berlin, prévus pour 1916, se préparent... Ils n’auront pas lieu, et l’Allemagne vaincue se trouvera exclue des Jeux de 1920, puis de ceux de 1924. La tenue des septièmes Jeux, ceux de la VIIIe olympiade, aura lieu à Anvers, dans la Belgique meurtrie: ce sont les diamantaires qui fournissent l’essentiel des moyens financiers. Les places sont chères et les spectateurs boudent, ce qui n’empêche pas l’escrimeur Victor Boin de prêter le premier serment des athlètes, ni le drapeau olympique, imaginé en 1914 par Coubertin – cinq anneaux, sur fond blanc, qui symbolisent les cinq parties du monde unies par l’olympisme et reproduisent les couleurs de toutes les nations –, de flotter. Peu à peu, les rites finissent de se mettre en place.En 1924, à Paris, le Finlandais Nurmi est à son zénith, de même que le nageur Johnny Weissmuller. Le tournoi de football fait connaître au monde entier le jeu étincelant des artistes de l’Uruguay, tandis que le rugby et le tennis vont être rayés du programme. Plus de 3 000 athlètes, cette fois, représentent 44 pays... alors que, du 25 janvier au 4 février, 294 concurrents dont 16 femmes ont fait flotter à Chamonix 16 drapeaux pour cette Semaine internationale des sports d’hiver qui tiendra lieu rétroactivement de point de départ du cycle spécial des Jeux Olympiques d’hiver.1928, Amsterdam: incidents diplomatiques avec les Français et les Américains, tandis qu’une vasque allumée brûle en permanence au-dessus du stade et que les Allemands effectuent leur retour, de même que les Allemandes, puisque Lina Radke s’adjuge un 800 mètres qui va nuire pour longtemps à la cause du sport féminin: nombre de concurrentes, insuffisamment entraînées à l’époque, offrent un spectacle difficile à soutenir tant elles sont épuisées.1932, Los Angeles : un premier village olympique digne de ce nom, interdit à Paavo Nurmi de même qu’à Jules Ladoumègue, l’homme à la prestigieuse foulée, car tous deux viennent de se voir disqualifiés à vie pour professionnalisme. Un stade de plus de 100 000 places. La supériorité des haltérophiles français, trois fois vainqueurs sur cinq concours, et la grande entrée en scène des nageurs japonais... tandis qu’en février, à Lake Placid, le couple Andrée Joly-Pierre Brunet s’adjugeait sur la patinoire sa deuxième médaille d’or consécutive, et que Sonja Henie glissait vers un troisième triomphe, qui s’avéra plus tard le meilleur des passeports pour une nouvelle carrière à l’écran.Les Jeux d’été de 1936, ceux de Berlin, vont marquer une nouvelle étape. Il y a plus de 4 000 concurrents; et surtout une énorme mise en scène qui doit affirmer à la face du monde la force du régime nazi. Des scènes troublantes se déroulent dans le stade lorsque toute une foule se tourne vers «son Führer». Il n’en reste pas moins que la qualité athlétique de ces onzièmes Jeux se situe très haut; que le film de Leni Riefenstahl, Les Dieux du stade , fixe de manière inoubliable l’image du Noir américain Jesse Owens, quadruple médaille d’or des 100, 200, 4 fois 100 mètres, et saut en longueur. Pour la première fois, la flamme embrasant la vasque est venue par relais, de porteur de torche en porteur de torche, depuis Olympie, matérialisant ainsi le lien avec l’Antiquité.En 1940, les Jeux doivent avoir lieu à T 拏ky 拏; le conflit sino-japonais conduit à les déplacer à Helsinki... La tourmente de la seconde conflagration mondiale balaie tout cela, et les Allemands, comme les Japonais, ne pourront se présenter à Londres, en 1948, pour les premiers Jeux de l’après-guerre. Le Suédois Sigfrid Edström (entré au C.I.O. en 1920) a été choisi pour succéder à Baillet de la Tour, successeur de Coubertin, mort en 1942. Après Edström viendra Avery Brundage, cinquième en son temps du pentathlon des Jeux de Stockholm (1912), qui présidera aux destinées du C.I.O. de 1952 à 1972 et mettra sa forte personnalité au service d’une conception privilégiant le respect d’un amateurisme difficile à maintenir.Helsinki (1952): près de 5 000 concurrents et près de 70 nations pour les Jeux peut-être les plus purs de l’histoire : Jeux marqués par la qualité du public et les triomphes d’Emil Zatopek, la «locomotive tchèque», gagnant d’un 5 kilomètres d’anthologie, du 10 kilomètres et du marathon, tandis que sa femme Dana s’adjugeait la victoire au javelot malgré les concurrentes soviétiques.Melbourne (1956), Jeux du bout du monde : succès du Soviétique Vladimir Kuts, du Français Alain Mimoun dans le marathon (vingt-huit ans après son compatriote El-Ouafi et cinquante-six ans après Michel Theato); quatrième médaille d’or du fleurettiste Christian d’Oriola, génie de l’escrime rejoignant le légendaire Lucien Gaudin; razzia des nageurs australiens, portés par tout un peuple...Rome (1960): record du monde de l’invincible Australien «Herb» Elliot dans le 1 500 mètres, loin devant le premier de ses suivants (Michel Jazy); beauté de la «Gazelle noire», Wilma Rudolph, et des gymnastes soviétiques; victoire de l’Éthiopien Abebe Bikila, pieds nus, sous l’Arc de triomphe de Constantin...T 拏ky 拏 (1964), premiers Jeux sous le ciel d’Asie : le 100 mètres de «Bob» Hayes; la troisième médaille d’or de l’Australienne Dawn Fraser au 100 mètres nage libre; la naissance olympique du judo, et le succès du Néerlandais Anton Geesink en «toutes catégories» sur le Japonais Kaminaga, plongeant dans l’affliction le Japon tout entier; au jour de la clôture, second succès en concours hippique du Catalan Pierre Jonquères d’Oriola, douze ans après Helsinki, puis défilé de tous les participants confondus et non plus en rang derrière leurs bannières respectives...Pour ce qui est des Jeux d’hiver: Saint-Moritz (1948), Oslo (1952), Cortina d’Ampezzo (1956), où règne l’éblouissant Autrichien Toni Sailer, lauréat du slalom spécial, du slalom géant et de la descente, Squaw Valley (1960), Innsbruck (1964) et le double succès des sœurs Christine et Marielle Goitschel, Grenoble (1968), où Jean-Claude Killy rejoint Sailer, tandis que la grâce de la patineuse Peggy Fleming émerveille, se sont succédé, accueillant des épreuves qui croissent en importance et en retentissement.À partir de Mexico, en 1968, les Jeux d’été, devenus manifestation d’une ampleur planétaire, entrent dans une phase nouvelle. Certes, les coureurs africains de longue distance s’affirment; le sauteur en longueur Beamon retombe à 8,90 m; le sauteur en hauteur «Dick» Fosbury, dos tourné à la barre, invente un style nouveau; Al Oerter, le discobole, gagne pour la quatrième fois consécutive; la gymnaste tchèque Vera Caslavska domine à elle seule toute l’équipe soviétique et les coureurs cyclistes français s’adjugent quatre titres, Daniel Morelon en tête. Mais les problèmes posés par l’altitude et la raréfaction de l’oxygène mettent en évidence la sophistication et le coût croissants des méthodes de préparation, «préparation» évoluant peu à peu vers l’usage abusif de médications, voire de produits dopants à la fois dangereux et de nature à fausser totalement le jeu sportif. On retient également le geste des sprinters noirs des États-Unis, venant gantés de noir sur le podium et se détournant ostensiblement tandis que monte aux mâts la bannière étoilée, afin de souligner, à la face du monde, la condition politique de leur communauté. Ce geste et son retentissement démontrent que l’importance des Jeux et de la publicité qui leur est faite par les médias en font désormais, pour toute revendication, la caisse de résonance idéale.L’attentat palestinien contre l’équipe d’Israël en plein village olympique de Munich (1972), le retrait des Jeux de Montréal (1976) effectué par la plupart des pays africains dans le contexte de leur lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, le boycottage décidé par le président des États-Unis Jimmy Carter à la suite de l’intervention militaire soviétique en Afghanistan, qui menaça les Jeux de Moscou (1980), réduisant à quatre-vingts pays la participation mondiale sans toutefois aboutir au fiasco souhaité: voilà des faits qui restent dans toutes les mémoires. Le combat pour les médailles tournant à la «guerre olympique» (tel est le titre de l’ouvrage polémique, et par endroits prémonitoire, publié en 1977 par le Canadien Paul E. Ohl) a permis l’affirmation de pays cherchant à se faire reconnaître, tels la Républiquedémocratique allemande et Cuba; il s’est en tout cas traduit par des luttes de systèmes et par la montée en rangs de plus en plus serrés sur les podiums de représentants de l’Europe de l’Est. Les exigences techniques des fédérations internationales ont contribué à ce que le coût des installations olympiques devienne si énorme que l’organisation tourne au véritable casse-tête, entraînant dans son sillage spéculations et interrogations et mettant ainsi en cause tout le processus olympique même.Non, la tâche de lord Michael Killanin, Irlandais plein d’humour et de raison, prenant de 1972 à 1980 le relais du «roc» Avery Brundage, n’était pas commode, et il sut faire front. L’Espagnol Juan Antonio Samaranch tient maintenant le flambeau, après avoir été élu par le Comité international olympique le 16 juillet 1980, lors de la session de Moscou. D’emblée, le nouveau président a pris son bâton de pèlerin, pour une politique de présence et de contact à travers le monde entier. Son sens de la diplomatie, sa culture, sa connaissance des milieux sportifs lui ont permis de tenir la barque à flot.Le C.I.O., une organisation à l’échelle mondialeBien peu, lors de sa prise de fonctions, pensaient, en effet, que les jeux Olympiques avaient encore un avenir. D’autant que le premier choc de Moscou, en 1980, fut suivi d’un second cataclysme avec l’absence d’une grande partie des pays de l’Est aux Jeux de Los Angeles en 1984. Une sorte de réponse du berger à la bergère. Pourtant, ce sont ces Jeux qui marquèrent le renouveau du C.I.O. en métamorphosant son image de petit club fermé en celle d’une organisation de dimension internationale.Naguère encore, le Comité international olympique s’appuyait sur quelques bonnes volontés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ayant quitté les hauteurs de Lausanne pour les bords du lac et le château de Vidy, avec une extension en 1986, le C.I.O. est passé par deux phases qui «dopèrent» son développement. La première fut marquée par la Française Monique Berlioux, ancienne championne de natation, qui donna à l’institution des structures mieux adaptées. Cette femme énergique, entrée au service du C.I.O. en 1967, a réorganisé complètement le travail d’un effectif permanent, de manière à répondre à l’évolution constante du phénomène olympique. C’est en 1985, lors de la quatre-vingt-dixième session, à Berlin-Est, que Monique Berlioux, en désaccord avec Juan Antonio Samaranch, passa la main au profit d’un Suisse, Me François Carrard. L’administration du C.I.O. est placée sous la responsabilité de ce dernier, qui, sous l’autorité du président Samaranch, en assure le fonctionnement avec l’assistance d’un secrétaire général et de treize directeurs. Elle repose sur une centaine de personnes réparties entre le siège, les bureaux de la solidarité olympique – qui aide les cent quatre-vingt-quinze comités olympiques nationaux reconnus –, et le musée Olympique, inauguré à Lausanne le 23 juin 1993.Un second événement est venu modifier de fond en comble la situation matérielle du C.I.O. À partir des Jeux de Rome (1960), les droits de retransmission télévisée ont pris une importance considérable, qui a encore augmenté avec les Jeux de Munich (1972). La seule exclusivité américaine avait coûté à la chaîne ABC 14 millions de dollars. Elle en coûta 25 millions pour Montréal en 1976, et les chiffres de 1998 pour Nagano, au Japon, seront de 375 millions de dollars.Le «marketing» olympique a fait le reste. Il englobe les droits de télévision, le parrainage, les monnaies, les licences et les revenus provenant de la vente des billets, produisant un montant supérieur à 2,5 milliards de dollars pour la période olympique quadriennale 1993-1996.Le C.I.O., en tant que «propriétaire» des jeux Olympiques, est responsable de la direction et de la gestion générale des programmes de marketing olympique. Des revenus obtenus, il ne retient qu’une fraction limitée à 7 p. 100 du total. Le solde est distribué aux comités d’organisations des jeux Olympiques (C.O.J.O.), aux comités nationaux olympiques (C.N.O.) et aux fédérations internationales des sports représentés aux Jeux.Le budget de fonctionnement annuel du C.I.O. est de 120 millions de francs et sa fortune était, selon Juan Antonio Samaranch, de 730 millions de francs à la fin de 1993. Néanmoins, pour redonner de l’importance aux Jeux d’hiver et d’été qui étaient organisés tous les quatre ans la même année, ceux-ci ont été décalés. Barcelone et Albertville, en 1992, auront été les derniers jeux Olympiques à se dérouler la même année. Désormais, les Jeux seront tous les deux ans sous les feux de l’actualité. Lillehammer (1994), avec son rendez-vous hivernal, a ouvert le bal, Atlanta (1996) et les Jeux d’été prendront la relève pour être relayés par Nagano en 1998 et Sydney en l’an 2000.Cette richesse a changé l’image du C.I.O. en lui permettant de retrouver une indépendance financière qu’il était sur le point de perdre au début des années 1980. L’attentat contre les athlètes israéliens à Munich en 1972, le déficit record de Montréal en 1976, les problèmes politiques de 1980 et de 1984 avaient presque eu raison de son existence. Tout changea le 17 septembre 1981 lorsque, par arrêté du Conseil fédéral suisse, le C.I.O. fut reconnu organisation internationale non gouvernementale à but non lucratif, dotée de la personnalité juridique.Cette richesse a rendu le C.I.O. plus professionnel. Dès lors, il devenait impossible de maintenir plus longtemps l’article 26 de la Charte olympique ouvrant les Jeux aux amateurs purs et durs. Plus question de confrontations entre les «amateurs» d’État de l’Est et les universitaires de l’Ouest. Aujourd’hui, le terme «amateur» a disparu des textes du C.I.O., et les meilleurs s’affrontent pour remporter les médailles. Les footballeurs professionnels firent leur apparition en 1984, les tennismen officiellement en 1988, les basketteurs de la NBA en 1992, les cyclistes du Tour de France viendront en 1996 à Atlanta, et les hockeyeurs de la NHL seront présents à Nagano en 1998.La politique a également changé la face du sport et du C.I.O. en général. La détente Est-Ouest, le retour de la Chine dans le giron olympique en 1979, la disparition de la R.D.A. autrefois triomphante, la naissance des nouvelles républiques de l’Est, la réintégration en 1992 de l’Afrique du Sud, exclue pendant des lustres en raison de sa politique d’apartheid, ont donné aux Jeux une dimension planétaire. Tout le monde a aujourd’hui compris que le boycottage ne punissait que les athlètes des pays qui voulaient se mettre en marge.La télévision a amplifié le spectacle et souligné l’importance sans cesse grandissante du sport dans la vie des peuples. Les superbes performances de l’Américain Carl Lewis, égalant à Los Angeles en 1984 l’exploit de son compatriote Jesse Owens, remportant quatre médailles d’or à Berlin en 1936, le coup de tonnerre que fut la disqualification pour cause de dopage du Canadien Ben Johnson vainqueur du 100 mètres à Séoul en 1988, les performances extraordinaires des basketteurs américains de la Dream Team, Magic Johnson et Michael Jordan à Barcelone, ont donné une autre dimension – proche du gigantisme – à ce rendez-vous quadriennal.On a souvent reproché au C.I.O. son mode de recrutement. Ainsi, il a fallu attendre 1981 pour qu’une femme y prenne place. Aujourd’hui, elles sont une demi-douzaine. Il faut dire qu’une certaine misogynie a longtemps régné dans cette vénérable institution. Néanmoins, de nos jours, on tente de réduire ces inégalités en accordant une importance grandissante aux épreuves féminines.Selon la volonté de Pierre de Coubertin, le C.I.O., autorité suprême du mouvement olympique, recrute ses membres par cooptation, ce qui est une manière de garantir son indépendance. En effet, ces membres sont ses représentants dans leurs pays respectifs et non les délégués de leur pays en son sein. Depuis 1894, près de quatre cents membres ont été ainsi cooptés à la direction du sport mondial. Ils sont en 1994 une centaine aux «affaires», dont une bonne partie est entrée au congrès de Paris, lors des célébrations du centenaire de l’organisation. Tous ces «élus» doivent se retirer à soixante-quinze ans pour obtenir le titre de membre honoraire. Cent quatre-vingt-quinze comités nationaux olympiques sont liés au C.I.O. depuis la réunification de l’Allemagne et l’explosion de l’ancienne U.R.S.S. au début des années 1990. Les langues officielles du C.I.O. sont le français – en hommage à Pierre de Coubertin –, qui fait autorité en cas de contestation, et l’anglais.Le président, élu pour huit ans, est ensuite rééligible par période de quatre ans. La commission exécutive a la charge des affaires: elle est composée du président, des quatre vice-présidents élus pour quatre ans et de six membres. Cette commission est renouvelée partiellement lors des sessions. L’assemblée générale, dite session, se tient au moins une fois par an. Quant au congrès olympique, réuni sur convocation du président du C.I.O. et composé des membres du Comité, des délégués des comités nationaux olympiques et des fédérations internationales, des représentants d’autres organisations et d’individuels invités par le C.I.O., il se tient très irrégulièrement. On n’en compte que douze dans toute l’histoire du C.I.O., le dernier ayant eu lieu à Paris en septembre 1994.Actuellement, le C.I.O. compte dix-neuf commissions spécialisées, parmi lesquelles la commission des athlètes, la commission médicale, la commission des finances, la commission du programme, la commission de presse et la commission du sport pour tous, plus un groupe de travail philatélique, le conseil de l’ordre olympique et le bureau du mouvement olympique.• 1894; de olympique♦ Institution, organisation des Jeux olympiques.olympismen. m. Didac. Esprit, idéal olympique.olympisme [ɔlɛ̃pism] n. m.❖♦ Didact. Ensemble des statuts qui réglementent l'organisation et le déroulement des Jeux olympiques. || L'olympisme a un caractère d'institution.
Encyclopédie Universelle. 2012.